Comparaison du ressenti, de la stratégie oculaire et de l’impact à partir de différents types de photos, dont des cinémagraphes

Nicolas Esposito
6 min readApr 6, 2022

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Nicolas Esposito, Carla Venuti, Mehmet Fatih Ucgul et Matthieu Vanbecelaere

Rapport de recherche court du Laboratoire ErgoDesign Lutin-Gobelins (Gobelins, l’école de l’image), novembre 2020

Introduction

Nous avons mené une expérimentation basée sur une demande du département Photographie et vidéo (Gobelins, l’école de l’image, à l’initiative de Jérôme Jehel et Yann Philippe). L’objectif général était de comparer la perception de ces trois types de photos :

  • photos en couleur ;
  • photos en noir et blanc (Kindom et al.,1992) ;
  • cinémagraphes (Park et al., 2014) : photographies dont une partie est animée en boucle.

Trois problématiques ont été traitées en particulier :

  • l’attention visuelle (Rousselet & Fabre-Thorpe, 2003) ;
  • le ressenti, notamment émotionnel (Redet et al., 2016) ;
  • l’impact sur la mémoire (Ménétrier et al., 2011).

Les résultats présentés ci-après portent sur les cinq hypothèses suivantes :

  1. Il y a une différence significative de ressenti entre les photos en noir et blanc et celle en couleur.
  2. Il y a une différence significative de ressenti entre les cinémagraphes et leurs versions statiques.
  3. Il y a une différence significative de stratégie oculaire entre les cinémagraphes et leur version statique.
  4. Il y a une différence significative d’impact entre ces quatre types de photos.
  5. Il y a des différences de ressenti, de stratégie oculaire et d’impact selon le niveau d’expertise du participant dans le domaine de l’image.

Méthodologie

L’expérimentation a été menée avec deux groupes de 20 participants âgés de 18 à 35 ans : en parts égales entre les experts dans le domaine de l’image (photographes, vidéastes, etc.) et les autres. Le département Photographie et vidéo a fourni 20 photos en couleur qui ont été converties en noir et blanc (en maintenant le contraste global) et 20 cinémagraphes qui ont été convertis en version statique. Deux ensembles ont été constitués avec 10 photos de chacun des quatre types (voir figure 1) : un ensemble pour la moitié de chacun des deux groupes, l’autre ensemble pour l’autre moitié.

Figure 1 : exemples pour chacun des quatre types de photos

Un cinémagraphe (le ballon est animé)
La version statique du cinémagraphe
Une photo en couleur
La version noir et blanc de la photo en couleur

Les photos ont été présentées dans un ordre aléatoire (cinq secondes pour chacune avec mesures oculométriques). Puis, elles ont été remontrées afin de recueillir un ressenti : un mot et les deux premières lignes du Self Assessment Manikin (Bradley & Lang, 1994). Enfin, des questions ont été posées pour savoir quelles étaient les photos qui revenaient en premier à l’esprit des participants (remémorisation).

Résultats

La première hypothèse a été confirmée : il y a une différence significative de ressenti entre les photos en noir et blanc et celles en couleur. D’une part, les photos en couleur sont perçues de manière plus positive et d’autre part, les évocations sont différentes :

  • pour les photos en couleur : beauté, couleur, superficialité ;
  • pour les photos en noir et blanc : sérénité, lumière, négativité.

La deuxième hypothèse a été partiellement confirmée : il y a une différence significative de ressenti entre les cinémagraphes et leurs versions statiques (les cinémagraphes sont perçus de manière plus positive), mais les évocations sont les mêmes (ludique, artificiel, convenu).

La troisième hypothèse a été confirmée : il y a une différence significative de stratégie oculaire entre les cinémagraphes et leurs versions statiques. Celle pour les cinémagraphes est principalement guidée par la partie animée. La figure 2 illustre une attention visuelle surtout portée sur l’ombre animée de la fleur (première carte de chaleur) puis une attention surtout portée sur le visage pour la version statique (deuxième carte de chaleur).

Figure 2 : exemples de cartes de chaleur pour un cinémagraphe et sa version statique

Carte de chaleur pour un cinémagraphe
Carte de chaleur pour la version statique du cinémagraphe

La quatrième hypothèse a été confirmée : il y a une différence significative d’impact entre ces quatre types de photos. Les cinémagraphes sont cités le plus souvent comme photos qui reviennent à l’esprit en premier (le ballon revient même environ une fois sur deux). Par ailleurs, les experts retiennent le moins les photos en noir et blanc alors que les autres retiennent le moins les cinémagraphes statiques.

Enfin, la cinquième hypothèse a été confirmée : il y a des différences de ressenti, de stratégie oculaire et d’impact selon le niveau d’expertise du participant dans le domaine de l’image. Le ressenti des experts est globalement plus positif sur les photos en couleur et en noir et blanc (donc hors cinémagraphes). Leur stratégie oculaire est plus exploratoire (moins focalisée sur le sujet). Et les photos qui les marquent le moins sont différentes : celles qui sont en noir et blanc (les cinémagraphes statiques pour les autres).

Discussion

Nos hypothèses sont donc globalement confirmées. Pour améliorer le niveau de validité de ces résultats, il nous paraît intéressant de travailler sur la nature des photos utilisées. Dans cette expérimentation, elles nous ont été fournies sans que nous puissions en définir les orientations. À l’avenir, des critères d’homogénéité pourraient être définis afin de limiter les effets liés au contenu des photos.

Conclusion

Nous retenons en particulier de cette étude (avec les photos utilisées) que :

  • les photos en couleur sont perçues de manière plus positive que celles qui sont en noir et blanc ;
  • les cinémagraphes sont perçus de manière plus positive que leur version statique ;
  • les cinémagraphes guident la stratégie oculaire avec leur partie animée ;
  • les cinémagraphes sont cités le plus souvent comme photos qui reviennent à l’esprit en premier ;
  • il y a des différences de ressenti, de stratégie oculaire et d’impact (remémoration) selon le niveau d’expertise du participant dans le domaine de l’image.

Références

  • Bradley, M. M. & Lang, P. J. (1994). Measuring Emotion: The Self-Assessment Manikin and the Semantic Differential. Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry, 25(1), 49–59.
  • Kingdom, F., Moulden, B. & Collyer, S. (1992). A Comparison Between Colour and Luminance Contrast in a Spatial Linking Task. Vision research, 32(4), 709–717.
  • Ménétrier, E., Didierjean, A. & Marmèche, É. (2011). Le système visuel traite-t-il les photographies comme des fenêtres ouvertes sur le monde ? L’année psychologique, 111(4), 753–773.
  • Park, J. S., Bae, J. H. & Cho, K. S. (2014). The Effect of Non-Verbal Communication Using Cinemagraph in Mobile Electronic Commerce of Agrifood on Visual Attention and Purchase Intention. Agribusiness and Information Management, 6(2), 24–31.
  • Redet, J., Vian, M., Esposito, N. & Tijus, Ch. (2016). Comparaison d’outils adaptés au terrain pour l’évaluation du ressenti à l’usage des IHM. Actes de Ergo’IA 2016 (Conférence internationale en ergonomie et informatique avancée). Bidart-Biarritz (France), 6–8 juillet.
  • Rousselet, G. A. & Fabre-Thorpe, M. (2003). Les mécanismes de l’attention visuelle. Psychologie française, 48(1), 29–44.

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